Le 19 juin dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt majeur en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en condamnant une banque pour blanchiment aggravé.
L’Espèce
Les dirigeants d’un groupe de sociétés ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel Paris pour escroquerie en bande organisée, abus de biens sociaux, abus de confiance, exercice illégal de l’activité de conseil en investissements financiers et blanchiment pour des faits commis entre 2012 et 2014.
La banque auprès de laquelle la société détenait un compte bancaire a été renvoyée devant la même juridiction du chef de blanchiment aggravé pour avoir permis aux dirigeants d’effectuer des virements à destination de comptes bancaires étrangers portant sur des sommes importantes « alors que la banque, en raison de sa qualité de professionnelle et des contrôles qu'elle se devait de faire, ne pouvait ignorer l'origine délictuelle des sommes portées sur ce compte qu'elle gérait, eu égard notamment au mode de fonctionnement de celui-ci et à ses obligations de vigilance et de surveillance renforcée s'agissant de l'Indonésie au titre des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier ».
En première instance, les juges ont condamné les dirigeants mais relaxé la banque.
La cour d’appel de Paris a décidé de ne pas suivre le tribunal correctionnel et a condamné l’établissement bancaire pour blanchiment aggravé.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel considérant que :
si le seul manquement de la banque aux obligations de vigilance ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client, « la mise à disposition d'un compte bancaire dans l'un de ses établissements et l'exécution d'ordres de virements des sommes y figurant vers des comptes à l'étranger (…) sont susceptibles de caractériser la participation de la banque à des opérations de blanchiment » ;
l’intention nécessaire à la caractérisation du délit de blanchiment se déduit des informations dont la banque disposait concernant le fonctionnement du compte et qui faisaient qu’il ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds figurant sur les comptes de la société (score du compte en alerte orange, flux provenant d’un pays inscrit sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte anti-blanchiment, augmentation des flux…) ;
malgré une telle connaissance de l’origine frauduleuse, la banque n'a pas fait en temps et en heure les déclarations de soupçon exigées.
Vers un renforcement des obligations de lutte anti-blanchiment et de sanctions en cas de non-conformité
Les règles applicables en matière de lutte anti-blanchiment se sont considérablement renforcées depuis la date des faits visés dans l’arrêt (2012-2014), notamment au travers de la publication de la 5e directive européenne, transposée en France par une ordonnance de février 2020 qui a (i) étendu le nombre d’entités assujetties et (ii) renforcé les différentes obligations.
Le 19 juin dernier, l’Union européenne est allée encore plus loin en publiant un nouvel ensemble de règles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme qui prévoit notamment :
des mesures renforcées pour les pays tiers à haut risque ;
la soumission des clubs, joueurs, agents de football ou encore des fournisseurs de crypto aux obligations de vigilance ;
la mise en place d’une limite maximale de paiement en espèces de 10.000 euros ;
la mise en place d’une obligation de vérification de l’identité du client occasionnel pour les opérations en espèces d’un montant supérieur à 3.000 euros.
Pour illustrer ce durcissement de l’arsenal juridique, en France, la chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment considéré par exemple que la non-conformité aux normes anti-blanchiment pouvait constituer un acte de concurrence déloyale ouvrant droit à des dommages et intérêts pour les concurrents1Cass, com, 27 septembre 2023, n° 21-21.995.
En tout état de cause, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par son arrêt du 19 juin dernier, vient quant à elle éclairer sur les contours de l’engagement de la responsabilité pénale en matière de blanchiment. Elle rappelle ainsi l’importance de sensibiliser tous les « acteurs assujettis » aux différentes obligations prévues par le Code monétaire et financiers et les directives européennes afin d’éviter de s’exposer à un risque de condamnation ainsi qu’à une potentielle atteinte à l’image et à la réputation.